Hello 👋
J’espère que vous allez bien !
Et si vous êtes là, c’est que le titre ne vous a pas fait trop peur ! Ouf, car ça n’a pas l’air comme ça, mais j’aborde cette fois-ci un sujet qui me tient à cœur : le silence. Et je ne sais pas vous, mais depuis que la ville a retrouvé son brouhaha d’antan, et que les open spaces ont réouvert, je supporte le support de moins en moins, ce bruit. Et j’ai l’impression que je ne suis pas la seule.
Alors, depuis quand et pourquoi cherchons-nous à nous protéger du bruit au travail ? Et pourquoi, d’ailleurs, y sommes-nous si sensibles ? Pourquoi arrivons-nous parfois à nous concentrer dans un environnement bruyant, et parfois pas ? Je vous invite à un voyage dans l’histoire des bouchons d’oreilles pour comprendre…
Antiquité
Ne pas se laisser tenter
Les premiers bouchons d’oreilles auraient été inventés par Ulysse et ses compagnons de voyage, pour s’affranchir du champ des sirènes. Ils étaient alors constitués de cire d’abeille, tout simplement.
Développements militaires
Des bruits trop forts pour nos oreilles
Mais le développement des bouchons d’oreilles a véritablement eu lieu au début du 20ème s., alors que nous inventions des machines qui faisaient plus de bruit que ce que la nature humaine était capable de supporter : chaînes de production, voitures, trains, avions, et armes à feu de plus en plus puissantes.
En 1905 sont nées les protections auditives dites de Mallock-Armstrong. Imaginées pour résister aux coups de feu et autres explosions de bombes, elles étaient fabriquées en ébonite, et disponibles en six tailles différentes pour s’adapter à chacun. Mais les bouchons d’oreilles jetables, développés par l’allemand et pharmacien Max Negwer, eurent plus de succès. Il était convaincu du bénéfice médical de son invention, et tenta de les vendre aux pharmacies environnantes. Mais ce seront les usines qui seront ses premiers clients. Et les soldats de la Première Guerre Mondiale, les suivants.
1940
Un enjeu de santé publique
Il faudra attendre une Seconde Guerre Mondiale pour qu’un certain niveau de décibel soit considéré comme dangereux pour la santé, et responsable de la surdité d’anciens soldats.
L’armée américaine jouera longtemps la sceptique sur ce sujet. Ils imaginaient même qu’on pouvait s’habituer aux sons importants, en y étant exposés régulièrement. Et que les personnes qui perdaient l’ouïe n’étaient en fait pas très résistantes. Mais l’arrivée des avions de chasse exposèrent leurs pilotes à des sons d’une telle intensité qu’ils provoquèrent des pertes d’ouïe quasi immédiates. La “maladie ultra-sonique” qui se développa alors provoquait maux de têtes, d’oreilles, extrême fatigue, irritabilité, et sentiment de peur. En 1940, l’armée américaine conduisit une analyse médicale qui démontra la nécessité de s’équiper de protections auditives lors de l’utilisation d’armes. L’armée attendit 1948 pour en faire une obligation, perpétuant ainsi chez les soldats le doute suivant : vaut-il mieux “protéger ses oreilles pendant le combat pour entendre après, ou entendre les ordres et les sons pendant la bataille pour survivre, quitte à être sourd ensuite” ? Mais bon, dans les avions de chasse, pas sûr que la question de la communication soit une vraie question…
1960-80
Entendre et ne pas entendre à la fois
Ces protections auditives finirent par se diffuser grâce aux innovations de matériaux de ces dernières. Celles en cire étaient réputées pour masquer tous les sons, et rendaient la communication impossible sur le terrain. Sont ensuite apparus les bouchons en mousse, mais leur couleur jaune en dissuada plus d’un de les utiliser sur le champ de bataille. Arrivèrent enfin les casques anti-bruits, qui pour les militaires étaient souvent connectés à un système de communication externe. Il existe aujourd’hui des oreillettes permettant de masquer les sons au-dessus d’un certain niveau de décibels, et qui amplifient les sons très bas.
Aujourd’hui
Pas besoin de protection ?
Alors que tous les open-spaces s’équipent à grand renfort de parois anti-bruits, rideaux acoustiques et casques audio toujours plus évolués, et que les allemands vont même jusqu’à équiper leurs parcs de jeux pour enfants de murs anti-bruits comme ceux qu’on trouve le long des autoroutes françaises, ce sont certaines professions qui risquent leur ouïe chaque jour.
Le bruit est reconnu comme étant l’une des principales nuisances professionnelles (même dans les open spaces bardés de panneaux acoustiques et de moquette), et la surdité reste l’une des pathologies professionnelles les plus répandues, notamment pour les professions ouvrières. Pourtant, l’usage de protections auditives semble faire débat. Pour les plus jeunes, le refus de porter ces protections serait une façon de dire qu’ils sont plus résistants que les plus anciens, et qu’ils sont aussi là pour peu de temps, qu’ils n’estiment donc pas nécessaire de se protéger pour une pathologie qui se déclare doucement, après des années d’exposition. D’autres mettent en cause le manque de clarté et de possibilités pour calculer le degré d’exposition en fonction de l’environnement de travail, et manquent de conseils pour concilier bonne protection, et nécessaire communication entre coéquipiers, et bonne écoute de l’environnement sonore afin de préserver la sécurité des travailleurs.
Futur
Silence régénérateur
Quand j’étais petite, je voyais mon père courir d’un avion à un taxi, d’un rendez-vous à l’autre, d’une capitale à l’autre. Sa seule pause ? La pause clope, une bouffée d’air dans un air déjà trop pollué. Nous vivions dans un environnement urbain et sonore que nous ne pourrions plus imaginer aujourd’hui. Mon père est d’ailleurs presque sourd aujourd’hui. Moi, il me manque quelques points d’ouïe, c’est un peu la marque d’une génération.
Maintenant, seuls les engins circulant à moins de 50dB ont le droit de rouler en ville. Vous vous souvenez de la voiture Zoe ? Elle ne peut plus rouler : 72dB de moyenne. Même en skate vous êtes trop bruyant et susceptible d’être verbalisé. La ville n’était plus vivable pour une population plus que jamais sensible au bruit.
À défaut de pouvoir régénérer notre ouïe perdue, car perdue pour toujours, nous régénérons nos neurones, car il paraît que le silence a du bon. Dans les entreprises de bureaux, sur les chaînes d’assemblage, sur les chantiers, plus personne ne fume, mais tout le monde est devenu addict aux chambres anéchoïques. Un shot de quelques minutes à plusieurs reprises dans la journée est la nouvelle ressource anti-dépresseur, le nouveau sport national. Les toilettes en sont mêmes équipées. Dire qu’à l’époque ils y avaient installé des écrans télévisés… Ce qu’on ne sait pas encore, par contre, ce sont les risques associés à une exposition fréquente et répétée à 0dB.
Aller + loin 📚
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Les jeunes et les protections auditives, une illustration intéressante de la démonstration d’invincibilité que peut demander le marché du travail
Pourquoi notre cerveau a besoin de silence, une chronique qui fait du bien
Une discussion sur l’usage des protections auditives, anecdotes croisées d’historiens, d’internautes et d’anciens combattants
Right to Quiet Society Noiseletter, une pépite qui rassemble toutes les initiatives et expérimentations contre le bruit ambiant, avec une spéciale “Eating without noise”.
Alors, nos usages et notre culture du travail ne sont-ils pas largement influencés par nos objets ?
J’espère que ce billet vous a plu, n’hésitez pas à vous abonner, à le partager autour de vous, et à réagir à ce que vous venez de lire ! Les objets explorés seront de tout ordre — digitaux, outils, mobilier, objets insolites, disparus ou de demain… Ne manquez pas le prochain, c’est tous les 15 du mois.
Moi c’est Marion, et je m’intéresse au lien entre design et travail depuis 2015. Designer de services chez User Studio, je développe ma pensée au travers de projets, d’articles, de conférences et de tout autre format ! Ces billets s’inscrivent dans une réflexion plus personnelle, mais j’ai la chance de développer ces questions au quotidien, en contribuant à améliorer les expériences professionnelles des facteurs, conducteurs de train, soignants, commerciaux, transporteurs… — par le prisme de leurs environnements et de leurs outils.
Pour en avoir conçus quelques-uns, je suis convaincue que nos outils, nos objets, nos lieux, nos apps, transforment nos usages. Si c’est vrai dans notre vie quotidienne, ça l’est peut-être encore plus dans nos vies professionnelles, où nous n’avons pas toujours le choix des objets qui façonnent nos journées, et où ces objets sont très souvent à l’image de la culture de l’entreprise ou de la profession dont on fait partie.