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Me voilà en vacances, et moi, mes vacances préférées, c’est quand je parcours les routes à vélo. Alors je me suis dit qu’un petit retour sur l’histoire du vélo dans le travail ne pouvait que résonner — avec mon actualité personnelle, mais aussi avec la situation des livreurs à vélo, et des vélo-taffeurs, une tendance qui ne fait que grandir, surtout avec les corona-pistes, ces double-voies vélo que vous avez peut-être aperçu à Paris (sur Rivoli par exemple), qui ont été mises en place pour offrir une alternative confortable au métro en ces temps d’épidémies.
🦕 Un peu d’histoire
Ah, l’histoire. Toujours présentée sous le jour des découvertes d’un pays ou d’un autre. Alors, l’histoire du vélo se conte de différentes manières, en fonction des pays. Voici un donc un petit voyage dans le temps, dans quelques pays.
En France 🇫🇷
En France, l’arrivée du vélo a transformé la vie des facteurs. Si notre imaginaire collectif retient le fameux vélo jaune, il faut savoir que ce dernier n’est apparu qu’en…1995 !
Car ce sont d’abord les facteurs eux-mêmes qui se sont équipés de vélo — ce dernier leur rendant la tâche plus facile… Pendant près de 100 ans, bien qu’embauchés par la Poste, les facteurs possédaient leur propre vélo.
En 1830, un facteur visionnaire, et un peu en avance sur les techniques disponibles, se dota d’un vélo, qui était alors une forme d’intermédiaire entre à un chariot à deux roues, disposées une derrière l’autre, et une draisienne. Plus proche d’une « machine à courir », cet « auxiliaire technique » permet d’aller à 6km/h, soit un peu plus vite qu’à pieds.
Le vélo a finalement équipé l’ambition de la Poste (PPT à l’époque), c’est-à-dire de donner accès aux échanges postaux au plus grand nombre — là où ils étaient jusqu’alors réservés à l’élite — en permettant aux facteurs de parcourir de plus grandes distances.
C’est cet usage professionnel qui fit apparaître très vite les limites techniques de l’objet, et motiva ses grandes innovations. Michelin mit au point des pneus pour rouler dans la neige, puis sur toutes sortes de surfaces ; l’invention du pédalier fit vivre de nombreux artisans de la fin du 19è s. ; et le vélo pliant fut inventé pour permettre au soldats de circuler quelque soit le terrain — si le vélo ne pouvait porter, c’est le vélo qui l’était !
Le vélo permit de rallonger le kilométrage des tournées, et fut un véritable avantage à l’efficacité de la distribution du courrier. Les itinéraires des tournées furent revus en fonction, et une prime fut mise en place pour tout facteur se dotant d’un vélo, afin d’aider à son financement — pas loin de 600 francs à l’époque.
Certains services postaux sont nés grâce au vélo, comme la remise de plis « déposés en dernière limite d’heure », à Bourse, et transportés à toute vitesse dans les différentes gares parisiennes. C’est la naissance des coursiers, ces fameux livreurs qui bravent encore avec fierté le trafic parisien. La livraison de colis, elle aussi, naît de l’utilisation du tricycle, mais de façon plus barbare : les facteurs, afin de financer leur nouvel engin, propose ce nouveau service, qui leur permet de rapidement rembourser leur achat.
Né d’une curiosité pour une innovation, et donc faisant exception, le vélo s’est imposé comme une norme entre 1830 et 1912, date à laquelle toutes les tournées rurales doivent être effectuées en bicyclette. Mais il faudra attendre 1980 — alors que les charges de courrier augmentent, jusqu’à 30kg en moyenne — pour que La Poste équipe son personnel. Cet équipement collectif donnera lieu à des innovations propres au métier : des portes-bagages et sacoches adaptées, des petites roues pour le poser à l’arrêt en toute stabilité. Et il faut même savoir que les facteurs ont depuis le choix entre trois modèles…
Évidemment, les facteurs ne sont pas les seuls à se déplacer à vélo. Les pompiers ont tenté leur chance en 1870, les boulangers ont eu leur heure de gloire, mais aussi les rémouleurs, ces aiguiseurs de couteaux qui passaient de ville en ville avec leur matériel. Et l’on connaît aujourd’hui les livreurs UberEats et Deliveroo — qui connaitront peut-être le même sort que les facteurs, qui sait ?
Aux États-Unis 🇺🇸
Aux Etats-Unis, l’usage professionnel du vélo apparaît là encore grâce au courrier, et doit son heure de gloire une grève des trains, en 1894, paralysant l’ensemble du réseau, en privant notamment la baie de San Francisco de toute communication avec le reste du pays. C’est alors que s’organise un relai entre Fresno (ville à près de 350 km à l’est) et San Francisco : 8 étapes, 18 heures de route, 0,25$, et un timbre postal dessiné pour l’occasion. C’est là qu’est né l’esprit des bike messengers encore très prisés aux Etats-Unis : quoiqu’il arrive, il fallait aller au bout du parcours.
“A rider having an accident or delay was instructed to continue, on foot if necessary. The awaiting rider, after a reasonable delay, was to ride out to meet him.”
Autre particularité, ces coursiers de fortune roulaient en fixie. Pour les non-initiés, un fixie est un vélo à pignon fixe : une seule vitesse donc, et pour freiner, il faut pédaler en arrière. Si à l’époque, c’est parce qu’il s’agissait de la seule technologie disponible, c’est encore en fixie que les coursiers san-franciscains roulent aujourd’hui. Ces vélos si particuliers sont l’une des spécificités et fiertés de la communauté — et implique un véritable savoir-faire. Son développement peut être lié au relief de San Francisco, où il serait très malvenu de se retrouver sans frein. La mécanique la plus simple est donc d’usage pour minimiser les casses de matériel. Rouler avec un tel vélo demande beaucoup de dextérité et d’adresse. Ce métier, très bien reconnu et rémunéré aux Etats-Unis, n’est pas à la portée de tout le monde. Des années d’expérience, une connaissance fine de la ville, une habileté à vélo pour se faufiler à toute vitesse entre les bus et les voitures sont requis pour obtenir un poste dans les plus grandes entreprises de livraison.
En Chine 🇨🇳
La Chine, avec les États-Unis et les Pays-Bas, fait partie des pays qui ont acheté le plus de vélos au monde. Le vélo, aux côtés de nombreuses autres choses, l’a fait basculé dans l’ère industrielle.
Si le vélo a été l’un des outils politiques du gouvernements, les chinois ont redoublé d’inventivité pour maximiser l’usage de cet engin : à la fois poids-lourd, lorsque sont défiées les lois de la physique avec des chargements de plusieurs mètres de haut, ou encore taxi, avec les fameux tuk-tuk présents partout dans les villes asiatiques. Après un passage à vide, où il a été interdit de certains centre-villes, le vélo fait sont retour : il serait aujourd’hui considéré, avec l’arrivée du vélo électrique comme l’une des alternatives à la voiture, dans des centres urbains irrespirables.
[Je n’ai pas eu le temps de beaucoup lire à ce sujet, si vous en savez plus n’hésitez pas à compléter en commentaire !]
Aux Pays-Bas 🇳🇱
On ne peut pas ne par parler de ce pays où le vélo est partout : c’est près de 50% des néerlandais se rendent au travail à vélo aujourd’hui. Pourtant, il y a 40 ans, les Pays-Bas n’était pas plus cyclophiles que ça. Le décès de 3300 cyclistes en 1971 à cause du trafic automobile, et l’augmentation du prix du carburant en 1973, ont incité le pays à investir dans une infrastructure pro-vélo sur l’ensemble du pays. Aujourd’hui, c’est près de 18 millions de vélo qui sont en circulation dans le pays, pour 16,4 millions d’habitants. Car en effet, certains néerlandais ont deux vélos pour aller travailler : un pour se rendre de chez eux à leur gare de départ, et un autre pour se rendre de la gare d’arrivée à leur bureau — le vélo pliant n’étant pas vraiment une option, car pas assez confortable selon les hollandais !
Aujourd’hui
Le vélo rendrait plus heureux ceux qui l’utilisent sur leur trajet quotidien pour aller au travail — il serait même facteur d’une meilleure productivité et d’un moindre absentésime… Depuis 2015, une indemnité kilométrique a même été mise en place en France pour inciter le trajet à vélo pour se rendre au travail.
Il suffit d’écouter les témoignages de quelques coursiers, qu’ils soient français ou américains : tous sont passionnés et fiers de leur métier. Ils sont heureux d’aller à vélo dans l’immense labyrinthe des villes, de finir par en connaître chaque recoin. C’est un métier de sensations, de vitesse, de jeu avec l’adrénaline et le risque, mais aussi de grande adresse.
Le vélo a aussi donné naissance à des métiers plus ou moins… étonnants ! Je retiens par exemple le taxidermiste de vélos, qui fait de votre vélo en fin de vie une belle œuvre à exposer dans votre salon (ou pas), ou encore le représentant de la sécurité cycliste au gouvernement irlandais, chargé de parcourir les différents itinéraires cyclables afin d’identifier les zones sur lesquelles initier un dialogue avec les différentes parties prenantes.
Le vélo a été plusieurs fois menacé par des engins à moteur, mais son histoire montre qu’il a toujours su être au rendez-vous quand d’autres moyens de transports ne l’était plus (grèves en 1894, pénurie de carburant en 1944, grèves en 1995, pandémie en 2020…). Et avec l’arrivée du vélo électrique, la Poste est en train de remplacer tous ses vélos et deux-roues à moteur… Le vélo jaune a encore quelques heures de gloire devant lui — enfin… en attendant la fin du courrier papier.
🎈 Et demain ?
Voici venu le temps de la projection, de la fiction,
de l’histoire d’un futur imaginé pour cet objet.
On a poussé pour aller toujours plus vite, toujours plus loin. Le TGV, l’avion, l’autoroute. On a construit des infrastructures incroyables pour nous transporter ici, et là. Et puis, comme un retour à la raison, même le vélo est devenu trop rapide. Il demande trop de ressources pour être fabriqué. Il est devenu une ressource rare, chère, et très réglementée..
Les autres moyens de transport sont maintenant dans les musées, et sont totalement étrangers aux nouvelles générations. Le vélo, lui, sert toujours, mais pour un tout autre usage. Et avec lui son lot de métiers. Car plus besoin de se déplacer pour amener un courrier urgent, tout cela a été dématérialisé.
Il est devenu l’allié des agriculteurs. Suite à l’interdiction de l’utilisation du carburant, et aux diverses réglementations sur la protection des animaux, on se sert maintenant du vélo pour labourer les champs. Il est aussi devenu l’allié des fournisseurs d’énergie. On se sert de lui pour fabriquer l’énergie dont on a besoin.
Mais attention, pas question que cette création d’énergie soit le lot de quelques personnes — c’est au contraire une formidable opportunité pour chacun de participer à l’effort collectif.
Ça tombe bien, tout le monde a besoin de bouger, puisque pour plus de calme pour la planète et l’ensemble des êtres vivants qu’elle abrite, les humains ont pour consigne de rester chez eux, et de minimiser ses déplacements. Les bénéfices de cette création d’énergie collective sont multiples : une population de bonne humeur et en bonne santé, et une énergie consommée avec responsabilité et parcimonie. Car on se souvient tous de l’époque on l’on pouvait charger son smartphone à l’aide de quelques coûts de pédale dans un hall de gare…
🏖 Pour aller plus loin
Version vacances, une sélection de vidéos et d’images qui donnent des bons frissons sur ce que c’est que de travailler et vibrer à vélo — et bien sûr quelques lectures !
Beasts of Burden - San Francisco Bike Messenger Documentary, une immersion un peu folle et la culture punk dans le monde des coursiers de San Francisco
Macaframa SF Track Bike Promo, sensations et adresse sur les fixies
Ingenuity, Murder, Fraud and Fixies, pour toute l’histoire des premiers bike messengers nés en 1894, et l’étrange histoire de leurs timbres
Le vélo comme instrument de guerre, tout sur la pliante, ce vélo qui a servi aux soldats de la Guerre 14-18, avec photos et croquis d’époque
Pascal Campion’s “Lifeline”, l’une des couverture du New Yorker sortie pendant le confinement, qui rend hommage aux livreurs à vélo, juste splendide
Alors, nos usages et notre culture ne sont-ils pas largement influencés par nos objets ?
J’espère que ce billet vous a plu, n’hésitez pas à vous abonner, à le partager autour de vous, et à commenter ! Les objets explorés seront de tout ordre — digitaux, outils, mobilier, objets insolites, disparus ou de demain… Ne manquez pas le prochain, c’est tous les 15 du mois.
Moi c’est Marion Desclaux, et je m’intéresse au lien entre design et travail depuis 2015. Designer de services chez User Studio, je développe ma pensée au travers de projets, d’articles, de conférences et de tout autre format ! Ces billets s’inscrivent dans une réflexion plus personnelle, mais j’ai la chance de développer ces questions au quotidien, en contribuant à améliorer les expériences professionnelles des facteurs, conducteurs de train, soignants, commerciaux, transporteurs… — par le prisme de leurs environnements et de leurs outils.
Pour en avoir conçus quelques-uns, je suis convaincue que nos outils, nos objets, nos lieux, nos apps, transforment nos usages. Si c’est vrai dans notre vie quotidienne, ça l’est peut-être encore plus dans nos vies professionnelles, où nous n’avons pas toujours le choix des objets qui façonnent nos journées, et où ces objets sont très souvent à l’image de la culture de l’entreprise ou de la profession dont on fait partie.
Le vélo
Et demain: on pourrait imaginer - étant donné la nécessité de faire du sport pour se maintenir en bonne santé- que chacun ait le devoir de pédaler, le matin ou en entrant chez soi le soir, sur un vélo monté avec une dynamo avec batterie, pour produire une partie de son électricité, stockée dans des batteries, et qu'il y ait des bonus pour ceux qui produisent un excédent. Ou bien des stations par quartier pour produire l'éclairage public, ce qui pourrait favoriser un esprit de solidarité pour maintenir la lumière dans le quartier. Et pourquoi pas un métier qui consisterait à produire de l'électricité par ses propres efforts, et rémunéré.