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Au détour de quelques conversations sur les lieux du travail, et dans la veine des jobs non-télétravaillables, j’ai noté : les artisans et ouvriers qui travaillent sur les chantiers !
Et s’il y a un objet particulier sur les chantiers (même s’il est loin d’être le seul !), c’est l’algeco. Cet objet m’a toujours intrigué : une boîte blanche, fermée la plupart du temps, parfois posée là, bancale, dans laquelle on ne sait pas trop ce qui se passe, alors que le reste du chantier est souvent à ciel ouvert. C’est un peu la « zone d’intimité » de ces travailleurs du dehors.
Il faut savoir que l’installation d’un algeco ou équivalent est obligatoire. Espace repas, douche, sanitaires, vestiaires, chauffage, chambres : toutes les conditions sont précisément décrites, en fonction de la durée et de l’ampleur du chantier, et celui qui n’en met pas en place pour ses ouvriers s’expose à de sévères amendes.
Alors, comment en est-on arrivé là ? Quand est né l’algeco ? Quels sont les usages qu’il a favorisé, fait naître ? Quelle culture du chantier a-t-il influencé ?
Un peu d’histoire
Rappelons d’abord qu’avant d’avoir besoin de bâtiments modulaires sur chantier, des villes pouvaient êtres conçues, a minima des quartiers résidentiels, afin d’accueillir les travailleurs au plus proche de leur lieu de travail.
Mais avec l’accélération du temps de travail sur un chantier, plus le temps de s’installer, et surtout, plus de moyens dans un environnement où la course aux prix indique les choix à faire.
L’algeco, c’est en fait le nom de l’une des marques leader des bâtiments modulaires, et notamment de ce qu’on appelle des « bases de vie de chantier », « cantonnements », ou « cabanes de chantier ».
Les premiers sont nés en 1955, alors qu’Algeco s’était déjà imposé dans la location de wagons modulaires, conçus tant pour transporter des voitures que des liquides, elle propose une première « baraque de chantier » : une cabane en bois, un poêle, et un dortoir. Ces cabanons ont créé un tournant dans le confort des travailleurs de chantiers.
Travaillant main dans la main avec le designer Sébastien Baldini, les fondateurs d’Algeco ne cesseront d’itérer afin d’aboutir au modèle que l’on connaît aujourd’hui : le module assemblable et superposable, permettant de créer des hôpitaux en quelques jours au beau milieu de nulle part.
Je retiens cependant le modèle « orange », où celui qui aurait marqué les esprits des Bordelais lors de la rénovation de la gare Saint-Jean. Les formes arrondies et les couleurs vives de la « Bulle 2002 », en faisaient une véritable attraction. Une façon de faire d’un chantier une curiosité ? J’aime bien cette idée.
Malheureusement, ses lacunes techniques ont eu raison de la Bulle 2002. Petit à petit, le module s’est standardisé pour prendre la forme bien moins séduisante qu’on lui connait aujourd’hui. Cet objet, qui est espace de travail, de pause, de réunion, n’est aujourd’hui pensé plus que par ses contraintes : thermiques, phoniques, d’assemblage, de coûts.
Un signal que ces éléments essentiels à la vie de chantier, ces « bases vie » — c’est quand même comme ça qu’on les appelle — n’ont fait l’objet d’aucun investissement de conception ces dernières décennies, alors qu’ils ont été largement réinventés dans la sphère de l’habitat individuel. Le mouvement des Tiny houses a largement contribué à redonner ses lettres de noblesse au préfabriqué.
Je n’ai pas non plus trouvé d’étude sociologique sur l’impact sur les travailleurs de chantier de telles conditions de travail. Il s’avère qu’à part l’enthousiasme de conception un peu fou d’Algeco, peu de recherches ont été effectuées en terme d’expérience vécue à l’intérieur de ces espaces, du moins pour améliorer les conditions de travail des ouvriers et artisans, qui travaillent dans le froid, ou en plein soleil, dans le bruit et la poussière.
Mais c’est peut-être demain les seuls bureaux qui subsisteront. On y accordera plus d’attention ? Puisque nos beaux bureaux bien conçus dans leurs tours de verre ont un goût d’anachronisme, peut-être est-il temps d’investir dans ces espaces de travail du dehors-dedans ?
Un futur possible ?
On ne construit plus de bâtiments, on les démantèle. Les permis de construire ont laissé place aux permis de détruire, les premiers n’ayant plus beaucoup de sens sur une planète où il n’y a plus de ressources pour produire de nouvelles matières. Dans ce contexte-là, tous les métiers de production ont disparu. Certains se sont reconvertis. Les architectes sont devenus des réhabilitateurs, chargés de réinventer, à partir des bâtiments existants, de nouvelles architectures. Les artisans sont devenus des restaurateurs, et prennent soin des anciennes installations, plutôt que d’en fabriquer de nouvelles. Les assureurs sont devenus des rassureurs, et apportent le soutien nécessaire pour aider chacun à réinventer son environnement à partir de ce qui est.
Les ouvriers, eux, ont aussi vu leur métier se transformer. On les appelle aujourd’hui dans le jargon les péteurs. Plutôt que de construire, ils déconstruisent, dissolvent, démantèlent, dissocient les matériaux auparavant assemblés, afin de les envoyer au recyclage. Ces matériaux ainsi dissociés sont réutilisés pour apporter du sang “neuf” à des constructions en cure de réhabilitation.
Ce qui n’a pas changé, ce sont les bases-vie, qui portaient mal leur nom à l’époque. Elles sont toujours présentes, ne payant toujours pas de mine depuis l’extérieur — en tous cas, au démarrage d’un démantèlement. Ce qui a changé, c’est qu’elles apportent véritablement de la vie sur un chantier, et un vrai espace de confort. C’est presque même un cabinet de curiosités qui fait la fierté d’un chantier et d’une équipe.
Les permis de détruire laissent la liberté à ceux qui opèrent le chantier, et notamment à ceux qui sont les plus proches du terrain, d’aménager leurs bases-vie au gré de leurs trouvailles. Le cantonnement évolue donc au fil du chantier, à mesure que les ouvriers en prennent possession. Leur savoir-faire en matière de construction les aide à réaliser de véritables œuvres d’art.
D’ailleurs, chaque année, ces cabanes de chantier aménagées font l’objet d’une exposition internationale, mettant à l’honneur ces aménagements, des plus confortables aux plus loufoques. On s’y retrouve au prochain ?
Pour aller plus loin
Une réflexion sur les limites du préfabriqué, qui sonnerait la fin de l’architecture, qui a le mérite de poser des questions que je ne me posais pas encore
Le jeu vidéo le plus petit du monde, pour continuer sur la thématique de la construction, mais cette fois dans le monde virtuel
L’ethnologie de la vie de bureau, une émission savoureuse sur l’histoire du bureau, que je dois lire en livre maintenant
Les pires jobs de l’histoire, une vidéo Youtube que je ne retrouvais plus et qui m’avait fait mourir de rire, alors la voici !
Et l’un des lieux mythiques de la start-up nation a fermé son espace physique, peut-être que les “péteurs” se sont arrachés leur mobilier chiné ?
Alors, nos usages et notre culture du travail ne sont-ils pas largement influencés par nos objets ?
J’espère que ce billet vous a plu, n’hésitez pas à vous abonner, à le partager autour de vous, et à réagir à ce que vous venez de lire ! Les objets explorés seront de tout ordre — digitaux, outils, mobilier, objets insolites, disparus ou de demain… Ne manquez pas le prochain, c’est tous les 15 du mois.
Moi c’est Marion, et je m’intéresse au lien entre design et travail depuis 2015. Designer de services chez User Studio, je développe ma pensée au travers de projets, d’articles, de conférences et de tout autre format ! Ces billets s’inscrivent dans une réflexion plus personnelle, mais j’ai la chance de développer ces questions au quotidien, en contribuant à améliorer les expériences professionnelles des facteurs, conducteurs de train, soignants, commerciaux, transporteurs… — par le prisme de leurs environnements et de leurs outils.
Pour en avoir conçus quelques-uns, je suis convaincue que nos outils, nos objets, nos lieux, nos apps, transforment nos usages. Si c’est vrai dans notre vie quotidienne, ça l’est peut-être encore plus dans nos vies professionnelles, où nous n’avons pas toujours le choix des objets qui façonnent nos journées, et où ces objets sont très souvent à l’image de la culture de l’entreprise ou de la profession dont on fait partie.