Hello 👋
J’ai fouillé, cherché, sûrement trop, testé des choses, et ne suis pas arrivée à trouver le “bon” objet pour la newsletter de décembre… Alors me voilà en janvier, avec un peu de recul et un nouvel objet à étudier, et pas des moindres : la cravate !
L’idée m’est venue de plusieurs observations : celle de ma garde-robe d’abord. Je me suis rendue compte que j’aimais m’exprimer par mes chaussures, et par mes pantalons pour aller bosser… Pas très utile quand on se retrouve en visio 90% du temps ! J’ai donc décidé de miser sur des pulls colorés, des foulards, ou des cols de chemise à motifs pour donner un peu de pep’s à mes journées — mais c’est un casse-tête car mon dressing n’en est pas beaucoup doté. Seconde observation : l’écoute de ce podcast Travail (en cours), qui raconte — entre autres choses — à quel point changer de tenue entre le monde professionnel et la vie personnelle peut être important pour faire la transition. J’y ai aussi appris que le port de la cravate n’était plus obligatoire dans l’hémicycle depuis… 2017. Et pendant ce temps-là, mon compagnon a décidé de mettre une chemise tous les jours par souci de “dignité professionnelle” — chose qu’il ne faisait pas jusqu’ici.
Et l’accessoire qui relie, d’une façon ou d’une autre, ces différentes observations, c’est la cravate. Aujourd’hui un peu désuète, ou d’usage très formel, quel a été son rôle à travers les âges ? La réputation qu’on lui attribue aujourd’hui est-elle à la hauteur du rôle qu’elle su jouer, notamment pour le vestiaire masculin ?
⑇ Un peu d’histoire
Comme d’habitude, commençons par remonter dans le temps de cet objet du travail, un peu hybride certes, car ayant joué dans plusieurs cours. Tour à tour symbole militaire, de prestige et de réussite professionnelle, et accessoire de mode incontournable, il faut savoir que son histoire, notamment à ses origines, est discrète et peu documentée.
210 av. JC, l’accessoire militaire qui protège
L’histoire de la cravate a longtemps l’air mélangée avec l’histoire de l’écharpe ou du foulard. Elle est d’abord un simple “morceau de tissu noué autour du cou” pour les soldats du premier empereur chinois Qin Shih Huang, et les représentations ne montrent pas nécessairement une uniformisation de ce morceau de tissu. Il est noué de façon différente en fonction du statut militaire du soldat. On retrouve cette même pratique chez les soldats de la Rome Antique, pour lesquels l’étoffe de tissu est cette fois-ci systématiquement rentrée dans l’armure.
De mon point de vue, cet accessoire avait au moins deux utilités : protéger la peau des frottements de l’armure en métal, et protéger de la poussière et du froid.
Au Moyen-Âge, un symbole identitaire
Les chevaliers portaient eux aussi une étoffe de tissu, plus proche de l’écharpe de par sa taille. Elle était d’abord un cadeau de la femme aimée, mais devint très utile pour soigner, faire office de besace, ou encore pour être reconnu par ses pairs ou ses ennemis, de par sa couleur, lors des affrontements.
17ème, une origine croate qui fera fureur
Mais s’il y a bien une origine de la cravate autour de laquelle tout le monde s’accorde, c’est celle-ci. Lors de la Guerre de Trente Ans, Louis XIII appelle le soutien de l’armée croate. Ces derniers sont vêtus d'une bande de tissu colorée autour du cou. Cet accessoire est aussitôt adopté par les militaires français, sous la forme d’une bande de tissu blanche, en coton ou en lin. Plus agréable que le col rigide de l’uniforme français de l’époque, la cravate permet également de protéger chemise et boutons. Le terme “cravate” serait en fait un dérivé de “croate”.
C’est le Roi Soleil qui fait de cet attribut militaire un véritable phénomène de mode. Louis XIV portait en effet des perruques proéminentes, symbole de son pouvoir, qui ne laissaient pas la place suffisante pour une fraise ou un jabot. Mais son goût de la parure l’incite à dépasser la simple bande de tissu : le roi l’agrémente de rubans à motifs ou colorés. Il crée même la fonction de “cravatier”, personne sous les ordres du Grand Maître de la Garde Robe, et chargée de choisir et d’ajuster la cravate du roi, ainsi que ses boutons de manchette et ses diamants. C’est la période où la cravate connaitra peut-être ses plus grandes extravagances — pompons, cols, broderies, lacets…
18ème, à la recherche du bon nœud
Jean-Claude Colban, qui dirige donc la maison Charvet à Paris, le dit lui-même : une cravate est avant tout un nœud, “un morceau de tissu que l’on noue savamment”. Et l’histoire de la cravate le démontre : ses évolutions principales y sont liées. Parce qu’ils n’auront pas le temps de la nouer correctement face à une attaque surprise des anglais, les militaires français inventent la Steinkerque (du nom de la ville où ils sont attaqués), une cravate au noeud simple, avec l’extrémité des pans glissés dans la boutonnière de la veste.
Cette cravate laisse place au Stock, notamment chez la nouvelle bourgeoisie du XVIIIè s. Pans raccourcis, rigidité renforcée à l’aide de baleines ou de soies de porc, cet accessoire est plus facile à mettre et à entretenir. Certains s’accorderont la liberté d’y ajouter un ruban noué à l’arrière de la tête qui permet d’attacher les cheveux, portés longs à cette période. De par sa rigidité, il coutera cependant la vie de quelques militaires…
19ème, la Necklothitania
À cette époque, un soin tout particulier est mis dans le gilet : motifs, couleur, choix des boutons. Cette pièce de la garde-robe doit pouvoir raconter l’histoire de son porteur. Cette mode disparaît petit à petit, et cède ainsi toute sa place à la cravate. C’est d’ailleurs tout un art du nœud que les dandys cultivent, notamment en Angleterre : la Necklothitania est publiée, document très amusant qui explique les 14 façons différentes de nouer ce qui ressemble encore quand même beaucoup à un foulard. Si le nœud de cravate vous fait peur, voyez donc ceux-ci.
C’est sûrement la raison pour laquelle la cravate a été optimisée, et ainsi popularisée. La régate, ancêtre de la cravate telle que nous la connaissons, est une bande de tissu pré-nouée, qui s’accroche directement au bouton du col. Elle répond aux besoins d’une classe moyenne émergente, devant s’habiller pour aller au bureau.
20ème, la cravate à plis
C’est un américain, le cravatier Langdorf, qui crée la cravate à plusieurs plis. À la différence de la simple bande de tissu, qui se froissait au fil de la journée, ce montage en trois parties (le collier, le grand pan et le petit pan, ainsi que la doublure, voire même la triplure) permet à cet accessoire de trouver une véritable structure, qui lui donne définitivement peut-être, son côté sérieux, conventionnel et statutaire.
À partir de là, des libertés seront prises au cours des différentes décennies sur la largeur de la cravate, pour accompagner les modes et les coupes des vestes et pantalons. Dans les années 70, la cravate s’élargit jusqu’à 14 centimètres. Puis explore l’extra-slim, 5 centimètres. La cravate “standard” se stabilise entre 7,5 et 8,5 centimètres.
La fin de la cravate ?
La cravate a donc longtemps été associée à l’uniforme, ou au prestige, et son utilisation massive dans les fonctions de bureau au XXième s., lui confère ce rôle rigoureux et formel, considéré aujourd’hui comme presque désuet, sauf dans quelques professions qui continuent de la porter (finance, banque, politique, …). Les casual fridays des entreprises américaines, la disparition de la cravate dans l’hémicycle, ou le port du hoodie par les fondateurs des plus grosses multinationales de notre époque, ont contribué à destituer le prestige associé à cet accessoire, du moins dans un certain nombre de sphères professionnelles. La cravate est aujourd’hui portée pour les grandes occasions. À moins qu’il ne puisse être un élément de différenciation, de singularité pour les plus coquets d’entre nous ? Car c’est peut-être, derrière son aspect conventionnel, l’un des seuls espaces de liberté du vestiaire masculin : motifs, couleurs — cet accessoire a montré (avec plus ou moins de goût !) qu’il était déclinable à l’infini, et qu’il pouvait en dire beaucoup sur la sensibilité de son porteur.
Et ça n’est pas Balzac qui dirait le contraire.
La cravate n'est pas seulement un utile préservatif contre les rhumes, torticolis, fluxions, maux de dents et autres gentillesses du même genre ; elle est encore une partie essentielle et obligée du vêtement qui, dans ses formes variées, apprend à connaître celui qui la porte. Balzac, 1827
Voyez plutôt cette cravate dont le motif a été dessiné par Raoul Dufy, ça donne envie non ?
⑈ Et demain ?
Voici venu le temps de la projection, de la fiction,
de l’histoire d’un futur imaginé pour cet objet.
Les années 2030 ont annoncé, contre toute attente, le retour de la cravate. Transition économique et sociale difficile, rationalisation des habitudes de consommation pour des raisons écologiques, l’heure est à l’austérité. Chacun, fatigué de sa tenue d’intérieur, a décidé de revêtir l’accessoire d’apparat et de standing par excellence — pour rehausser un quotidien morose, ou par cohérence avec l’atmosphère socio-économique. Mais les habitudes de nouage avaient été perdues après plusieurs années de confinement sans gala, et la tendance s’essouffla vite : un port de cravate trop serré, et les séquelles respiratoires d’une certaine pandémie, ont malheureusement provoqué un nombre indécent de décès dans les pays occidentaux. En parallèle, la décennie passée à être mal assis a définitivement entériné le mal de ce début de siècle : les maux de dos d’une génération d’avachis.
Préoccupés par la santé de tous, maisons de couture, marques de sport et ergothérapeutes s’associèrent alors pour imaginer un accessoire de travail à la fois élégant, permettant l’expression singulière de chacun, et bon pour redresser le dos en posture assise. Les populations de télé-travailleurs à temps partiel ou temps complet se l’arrachent : un col structuré, matelassé, permettant un repos des cervicales, associé à un foulard (se déclinant à loisir dans les couleurs et les matières de votre choix) noué dans le dos pour un maintien des épaules légèrement en arrière, provoquant ainsi un redressement naturel de la posture. Voilà le nouveau blazer, le nouveau col de chemise, la nouvelle cravate : un objet tout en un, permettant de s’habiller simplement d’une tenue discrète et confortable en dessous. Et ce savoureux plaisir retrouvé de retirer cet accessoire une fois la journée de travail achevée, comme un geste de transition d’un état à un autre, celui de la sphère publique à la sphère privée, réminiscence de ce père détendant le noeud de sa cravate une fois rentré du bureau.
La seule utilité réelle de la cravate, c’est qu’on la retire, sitôt rentré chez soi, pour se donner l’impression d’être libéré de quelque chose, mais on ne sait pas de quoi. P. Coelho
⑉ Pour aller plus loin
Une sélection des belles trouvailles glanées au fil de mes recherches et de mes lectures.
Le récit d’un jeune homme, qui se distingue (d’après lui) par le port de sa cravate.
Un focus sur la géopolitique de la cravate, qui s’avère être un atour absolument occidental.
Un partage sensible à la radio sur la cravate et son rôle dans la garde-robe masculine, par le directeur de la maison Charvet, cravatier depuis 1838.
L’asso qui collecte pour tous des tenues professionnelles, pour que le vêtement ne soit pas un frein à l’embauche
Le podcast Travail (en cours), qui m’a définitivement donné envie d’écrire cet article, et qui est une belle mine d’or sur les enjeux du travail.
Merci d’être là, et un partage des meilleurs vœux reçus pour l’année 2021 🇯🇵
Le zodiaque en 2021 est celui des vaches. Les vaches sont depuis longtemps des animaux importants qui ont aidé les humains dans les domaines laitier et agricole. On dit que l'année du vaches sera une année de "la patience" et "un signe avant-coureur de développement futur" en raison du travail qui aide les travaux agricoles difficiles jusqu'au bout.
Je pense que les vaches peuvent être considérées comme nous disant que 2021 changera pour le mieux.
Une vache au repos avec les genoux cassés s'appelle "GAGYU". On dit que la chance viendra si vous caressez le dos de GAGYU. Maintenant, caressez le dos de la vache sur l'écran et ayez de la chance cette année.
Je crois que 2021 sera la fin de Corona et une nouvelle année pleine d'espoir.
Je vous souhaite, à vous, à votre famille et à vos amis, la santé et le bonheur en 2021.
Alors, nos usages et notre culture ne sont-ils pas largement influencés par nos objets ?
J’espère que ce billet vous a plu, n’hésitez pas à vous abonner, à le partager autour de vous, et à commenter ! Les objets explorés seront de tout ordre — digitaux, outils, mobilier, objets insolites, disparus ou de demain… Ne manquez pas le prochain, c’est tous les 15 du mois.
Moi c’est Marion Desclaux, et je m’intéresse au lien entre design et travail depuis 2015. Designer de services chez User Studio, je développe ma pensée au travers de projets, d’articles, de conférences et de tout autre format ! Ces billets s’inscrivent dans une réflexion plus personnelle, mais j’ai la chance de développer ces questions au quotidien, en contribuant à améliorer les expériences professionnelles des facteurs, conducteurs de train, soignants, commerciaux, transporteurs… — par le prisme de leurs environnements et de leurs outils.
Pour en avoir conçus quelques-uns, je suis convaincue que nos outils, nos objets, nos lieux, nos apps, transforment nos usages. Si c’est vrai dans notre vie quotidienne, ça l’est peut-être encore plus dans nos vies professionnelles, où nous n’avons pas toujours le choix des objets qui façonnent nos journées, et où ces objets sont très souvent à l’image de la culture de l’entreprise ou de la profession dont on fait partie.